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Moussa Kobeissi : un galeriste hors des sentiers battus

30/04/2019|Nelly Helou

Moussa Kobeissi, libano-français, ingénieur en informatique, a travaillé au commissariat à l'énergie atomique en France et au Liban comme expert en sécurité informatique auprès des banques. Atteint du 'virus de la collectionnite aigue', il décide un beau jour de se donner exclusivement à sa passion : le monde de l’art. Accueillant, aimable, parfait francophone, il nous reçoit dans sa galerie Zamaan rue Sadate, quartier Hamra. Suivons son parcours. 

‘‘Je suis né dit-il dans une famille d'amateurs d'art. Mon père était enseignant de dessin et de calligraphie. C’était un perfectionniste qui m’a inculqué l’amour de la nature me disant qu'il était interdit de passer aux côtés d'une fleur, sans s'arrêter, l'apprécier et la sentir. Ma mère était spécialiste de broderie artistique. Elle était très perspicace et voyant mon attrait pour le monde de l’art, et connaissant mes capacités scolaires, elle me disait ‘l'art ne fait pas vivre’’, et m'a encouragé à faire médecine. 

Après ses études secondaires au Collège des Antonins à Baabda, Moussa s’oriente plutôt vers les sciences, fait une maitrise en maths, une autre en physique puis un DEA au Centre d’Etudes mathématiques de Beyrouth. Il se rend en France, obtient un doctorat en informatique à Jussieu à Paris et décroche un excellent job. Il est engagé comme ingénieur spécialiste en matière d’informatique et de sécurité au CEA (commissariat à l'énergie atomique) à Saclay, puis à Thomson. 
Mais l’idée d’avoir une galerie d’art ne le lâche pas.

Premier coup de cœur
‘‘Un jour, par pur hasard, me promenant sur les quais de la Seine je découvre chez un bouquiniste une carte postale au dos de laquelle on lit : Messageries maritimes de France jardins de Jafa, d’avant 1900. Une merveille. Ce fut le coup de cœur. Je repasse voir et achète des cartes postales anciennes du Liban, de Syrie et de la région. Le virus de la collectionnite s’empare de moi’’ ! Il plonge dans ce monde des photos anciennes de tout le Moyen Orient et sa collection dépasse aujourd’hui les 12,000 cartes postales et photos anciennes. Au fil du temps, il devient un professionnel du vieux papier, un vrai connaisseur des illustrateurs de 1897 à 1925, ce qui lui facilite l’acquisition de pièces et d’objets qui dépassaient en coût son salaire mensuel. Pour compenser ceci, il apprend à acheter et à marchander en professionnel. ‘‘Ce fut dit-il, une expérience excitante’’.
‘‘Avoir quelque chose de beau entre les mains est exaltant mais ce n’est pas suffisant’’ ajoute-t-il. ''Il faut partager. Or je ne voulais ni exposer ni vendre en format réel les cartes postales et les photos anciennes acquises, tel du fétichisme. J’ai élaboré alors le concept de l'agrandissement artistique en Sépia selon la même technique des années 1900, sur du papier d’excellente qualité. Les photos agrandies 10 ou 15 fois plus que leur dimension initiale, allant parfois jusqu'à six mètres, permettent d’y voir les moindres détails, au lieu d’essayer de deviner ce qu’il y a dedans. Je voulais montrer l’aspect sociologique, historique, archéologique ou urbaniste que dégage chaque photo''.
Son concept a du succès. Une des expos ayant regroupé des photos anciennes agrandies du Liban, de Syrie des pays du Proche Orient et d’Afrique du Nord est restée dans les mémoires. 

Retour au bercail et passion de l’art 
En 1983, au lendemain de l’invasion israélienne et les fermetures fréquentes de l’aéroport de Beyrouth, il décide de laisser tomber un travail prestigieux et de rentrer au bercail. ‘‘On m'a traité de fou. Mais je ne pouvais pas vivre loin de Beyrouth que je chéris’’.
Moussa Kobeissi ne lâche pas son activité artistique tout en travaillant comme expert en sécurité informatique auprès des banques. En 1996, il loue un espace de 40 mètres carrés qui est l’entrée de l’actuelle galerie pour exposer photos et tableaux, mais il ne s’agit pas encore d’art pictural. ‘‘L’exposition inaugurale raconte-t-il, s'intitulait ‘Liban 19ème, passé recomposé’ et englobait des photos, des gravures, des tableaux et objets anciens. Ce fut une manifestation impressionnante avec plein de monde dans la rue, je n’en revenais pas !’’.
Et c’est ainsi qu’est née la Galerie Zamaan et les expositions de cartes postales et photos anciennes agrandies ont fait la réputation de Moussa Kobeissi.
Sa passion de l’art ne le quitte plus et s’intensifie. ‘‘En 1999 j'ai décidé de prendre une année sabbatique, pour méditer sur ma fonction d'expert en sécurité informatique auprès des banques. Mais au lieu de rester chez moi, je me suis installé à la galerie, j'ai découvert que c'est un monde à part, que l’art est ma vraie vocation et tant pis pour l'informatique. Mes deux enfants (une fille et un garçon) étaient déjà à l'université, ma femme enseignait le français à l'International Collège (IC) donc personne n'avait besoin de moi et je pouvais vaquer à mes passions, l’apport matériel important peu’’. Il loue un espace supplémentaire, se débarrasse de tout ce qui était antiquité, mobilier oriental, cuivreries lustres etc, et inaugure en 2000 sa galerie d’art. ‘‘Un conflit surgit en moi dit –il avec humour ; j’étais tiraillé entre deux maîtresses, ma collection de photos anciennes et ma nouvelle collection de tableaux modernes’’.

Place aux artistes du monde arabe
Il crée ce nouvel espace d’art selon un concept différent des galeries classiques. ‘‘J’ai choisi d’exposer les artistes auxquels les autres galeries ne s’intéressent pas car ils ne sont pas chers dès le début. J’ai opté aussi pour des conditions standards s'appliquant aux personnes aussi bien aisées que démunies : l’artiste ne paye pas un sous pour exposer, et selon la règle suivie s’il n’y a pas eu du tout de vente, on récupère notre mise en tableaux. J'ai tenu aussi à instaurer dans la galerie une ambiance amicale, accueillir et conseiller l’artiste non pas comme un client mais comme un ami. Tout a très bien fonctionné dès le démarrage parfois à un rythme incroyable. En 2009 je pense qu’on a fait 19 expos’’.
Ayant vécu à Paris, Kobeissi avait compris que les galeries anciennes qui proposaient un Picasso, un Modigliani ou autres grands noms n’avaient pas acheté ces toiles au prix fort mais avaient exposé ces artistes à leurs débuts. Il applique le même principe à Zamaan. ‘‘Je n'ai pas créé le concept je l'ai transcrit et pratiqué. Au début j’achetais toute l’expo puis je me suis dit si c’est pour tout acheter à quoi bon une galerie’’. Il décide de se servir à la fin de l’expo et se construit une collection monumentale devenue aujourd’hui : ‘‘les collectionneurs du futur’’. 
L’autre caractéristique spécifique de sa galerie d’art est d’exposer quasi exclusivement des peintres du monde arabe, beaucoup d’Irakiens, de Syriens et des Libanais bien entendu. Pourquoi cet intérêt ? ‘‘Je suis fier de mes origines, mais pour moi, elles ne s’arrêtent pas aux frontières du Liban. Et lorsque MM Sykes et Picot ont signé le découpage de la région ce ne pouvait pas être dans notre intérêt. Je suis Libanais, mais je n’ai rien contre le Syrien, l’Irakien….leurs pays sont mes poumons. La France, l’Allemagne, l’Italie qui se sont fait la guerre, travaillent aujourd’hui ensemble et en paix au sein de la communauté européenne. Nous, nous continuons à faire la guerre. Donc en matière d'art j’ai décidé de travailler avec les pays arabes, avec ‘Bilad al Cham’ et de rejeter totalement Sykes- Picot’’. 

‘‘Je suis pleinement convaincu que c'est un art qui mérite d'être exposé et connu. Il faut avoir le souffle long et de la persévérance mais je crois que cela vaut la peine qu'on s'y intéresse. Croyez-moi tous les étrangers qui viennent à la galerie sont étonnés par la qualité et le travail artistique des Libanais, Irakiens, Syriens, et autres peintres arabes. Je suis fier de mon choix’’.

Les perspectives d’avenir de Zamaan 
En 2020, la galerie d’art célèbre ses 20 ans avec à son actif près de 300 expos. ‘‘Un grand événement artistique marquera cette date’’ confie le galeriste. En 2021 on célébrera le 25ème anniversaire de l’ouverture de Zamaan en 1996. ‘‘J’avais intitulé l’expo inaugurale, ‘Liban 19ème’, passé recomposé. Pour le 25ème anniversaire, l’expo s’intitulera ‘Monde arabe, passé recomposé’. L'objectif étant de dire, en toute modestie, qu'à partir de Beyrouth on est capable d'être une sorte de phare qui éclaire la région’’.
En attendant ces deux dates clés, Moussa Kobeissi s’est attelé il y a un an à la tâche ardue de mettre de l’ordre dans sa galerie devenue au fil du temps beaucoup trop surchargée et un peu trop désordonnée. Il agrandit l’espace en couvrant le jardin à l’arrière et effectue un travail de titan pour tout classer, créant ‘sept espace en un’.


Chacune des sept salles de la galerie est dédiée à un thème précis. L’espace dédié aux expos des tableaux d’art est intitulé ‘les Collections du futur’. Les toiles de Leyla Dagher sous le titre de ‘Soul of Beirut’ ou ‘l’âme de Beyrouth’, sont sur les cimaises jusqu’au 27 avril. La salle ‘Nostalgia’ présente des agrandissements de cartes postales et photos anciennes qui elles, sont soigneusement conservées hors du regard. On passe ensuite au ‘winter garden’ avec des toiles de peintres ayant exposé à Zamaan. Il y a aussi l’espace cadeau, suivi ‘’en toute modestie’’ souligne Kobeissi du ‘Fort Knox B1’ ce qui indique qu’il y a un Fort Knox B. qui n’est pas ouvert aux visiteurs. La lettre B signifiant Beyrouth. Quels trésors cachent ces Fort Knox ? Dans l’espace art déco le galeriste réalise des cadres. Un art qu’il affectionne et pratique depuis longtemps. ‘‘Un cadre réussi dit-il ne doit pas s’imposer au regard, sinon il nuit à la toile. Sa fonction est d’harmoniser l’œuvre à son contexte’’.
Comment envisage-t-il le futur ? ‘‘Dans cinq ans dit-il j’aurais 75 ans et je voudrais me décharger quelque peu des responsabilités de la galerie et me donner à ma passion de dessiner et de peindre. J’ai déjà quelques œuvres mais que je n’expose pas encore’’.
‘‘Je souhaite aussi que la gestion de Zamaan devienne alors un partenariat et je suis en train de former une génération de partenaires motivés par l’esprit de la galerie et les valeurs qu’elle véhicule et non simplement par le turn-over. En faire une sorte d’espace muséal. Par ailleurs, je ne suis pas possessif mais je ne voudrais pas que ma collection de cartes postales, la seule chose dont je suis propriétaire, sorte du Liban’’.
Quid de vos enfants ? ‘‘C’est déjà bien qu’ils n'étaient pas jaloux de la collection. Mais je crois que la galerie est quelque chose de beaucoup plus large qu’une légation familiale et je crois que ce serait une richesse si elle reste en dehors de la famille’’. 
Kobeissi adresse aussi un message aux gens : ‘‘arrêtez le monde virtuel ! Je suis de cette génération qui a créé le monde virtuel, j’ai vécu dedans et j'ai suffisamment d'expérience pour vous dire il n'y a pas de sécurité. Revenez aux sens, au regard réel admirez les belles choses. C’est ma guerre pour les années à venir. Elle sera difficile, je le sais’’. 
Il pratique le sport tous les jours et a divorcé avec la voiture depuis18 ans. A Beyrouth je circule à pied, les distances sont si minimes. 
Que pense-t-il de l’art d’aujourd’hui ? ‘‘Le gout artistique n'a jamais été un standard répond- il. Bien sûr côté matériel c'est un investissement incroyable, une sacrée mine de diamant. Pour ma part j’essaye de créer une tendance simple non pas simpliste, en disant aux gens et aux acheteurs : respectez votre goût, aimez ce que vous aimez, et collectionnez ce qui vous plait. A quoi sert un tableau si vous ne l’aimez pas ?’’.

 

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